« Les majeurs protégés ne doivent pas tomber dans l’invisibilité »
Article
Le 06/04/2020
Gaëtan Givel, directeur général de l’association tutélaire des majeurs protégés de Seine-Maritime et membre de la commission protection juridique de l’Unapei, évoque la situation des majeurs protégés en période de confinement et la mobilisation des associations tutélaires.
Quelle est la situation des majeurs protégés aujourd’hui ?
Gaëtan Givel : Les publics déjà fragilisés par un handicap, une pathologie psychique ou des difficultés cognitives le sont davantage du fait de la crise. L’isolement, la rupture de certains rituels quotidiens peuvent être très mal vécus. D’autant plus que les choses changent chaque jour. Beaucoup de majeurs protégés peinent à comprendre la situation et à saisir les enjeux du confinement. Beaucoup sont touchés de plein fouet par la fracture numérique. Il y a des cas où les personnes sortent dans la rue comme à leur habitude, sans attestation, parce qu’elles n’ont pu s’en procurer ou ignorent son existence. Elles se font parfois verbaliser. En cas de décompensation, elle peuvent avoir des réactions inappropriées face aux forces de l’ordre, ce qui ne simplifie pas choses.
On évoque un risque de rupture alimentaire…
GG : Oui, à défaut de posséder une carte bancaire, certains majeurs protégés ne peuvent régler leur achats qu’en liquide. Or beaucoup de banques ont dû fermer ou restreindre les heures d’ouverture de leurs guichets. Dans le même temps, certains commerçants refusent désormais les espèces. Comment, dès lors, faire ses courses et se procurer les produits de première nécessité ? La situation est aggravée par le fait que la plupart des interventions à domicile ont été interrompues.
Comment les services tutélaires agissent-ils ?
GG : Nos équipes sont mobilisées depuis le premier jour. Et ce n’est pas une formule de circonstance. A l’ATMP 76, qui emploie 200 personnes, nous n’avons enregistré que 4 arrêts de travail, pleinement justifié. Je crois que les professionnels mesurent plus que jamais l’importance de leur rôle. Notre première action a été de joindre systématiquement toutes les personnes que nous suivons. Nous les rappelons régulièrement pour nous assurer qu’elles ont de l’argent, de quoi vivre, et pour leur expliquer la situation, les rassurer. Nous avons également distribué des attestations de sortie en facile à lire et à comprendre. Dans certains cas d’urgence, nous nous déplaçons au domicile, mais cela reste rare car nous n’avons aucune protection.
Comment intervenez-vous sur le problème des retraits d’argent et des achats ?
GG : La situation nous conduit à revenir à des pratiques que nous avions abandonnées, comme la mise en place de systèmes de bons d’achat. Nous ouvrons aussi des comptes dans certains magasins et travaillons avec les banques pour résoudre la question des retraits. Les solutions mises en place varient selon les agences. Telle banque attribue des cartes de retrait aux personnes qui n’en ont pas, telle autre accepte d’établir une liste de personnes habilitées à venir chercher l’argent au guichet à la place des personnes. Les sommes retirées sont placées dans des enveloppes thermosoudées et déposées dans les boîtes aux lettres. Nous sommes évidemment en lien permanent avec les autres associations et avec les pouvoirs publics. Le travail en réseau est plus que jamais nécessaire.
Au-delà de l’action locale, les associations tutélaires interviennent aussi à l’échelle nationale.
GG : Oui, il est indispensable d’agir sur les deux niveaux. Fin mars, l’interfédération Protection juridique des majeurs * a par exemple diffusé un communiqué sur l’importance de maintenir la possibilité d’un paiement en espèce dans les magasins. Le Conseil du commerce de France a été saisi sur cette question. Des échanges réguliers ont également lieu avec la Direction générale de la cohésion sociale. Nous essayons d’être visibles au maximum dans les médias. L’objectif n’est pas de dénoncer ou de mettre en cause tel ou tel acteur. L’enjeu est d’alerter sur la situation des majeurs protégés pour qu’on ne les oublie pas. Nous sommes tous confrontés à une situation sanitaire grave. Il ne faudrait pas qu’elle se double d’une aggravation de la précarisation et d’une invisibilité pour ces publics isolés et fragilisés que nous accompagnons.
* L’interfédération PJM réunit la FNAT, l’Unaf et l’Unapei.